mercredi 31 octobre 2018

"Plutôt seront Rhône et Saône disjoints..." (Maurice Scève)


Portrait de Maurice Scève,
 gravure sur cuivre, anonyme,
XVIe siècle
Plutôt seront Rhône et Saône disjoints,
Que d’avec toi mon cœur se désassemble (1) :
Plutôt seront l’un et l’autre mont joints,
Qu’avecques nous aucun discord (2) s’assemble :
Plutôt verrons et toi et moi ensemble
Le Rhône aller contremont (3) lentement,
Saône monter très violentement (4),
Que ce mien feu (5), tant soit peu, diminue,
Ni que ma foi (6) décroisse aucunement.
Car ferme amour sans eux est plus que nue (7).
Maurice Scève, Délie, 1544.
1. Désassembler : désunir. 
2. Discord: Dispute, désaccord. 
3. Contremont : Vers le haut, vers la source donc. 
4. Violentement : Violemment. 
5. Ce mien feu : Ce feu (métaphore de la passion) qui est le mien. 
6. Foi : Fidélité à un engagement. 
7. Nue : Nuage.

"Plus ne suis ce que j'ai été..." (Marot)

Portrait probable de Marot (Corneille de Lyon, 1536)

Plus ne suis ce que j'ai été,
Et ne le saurais jamais être.
Mon beau printemps et mon été,
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les Dieux.
Oh si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !

Marot, Epigrammes, 1545.

Le Dizain de neige (Marot)

Anne par jeu me jeta de la neige,
Que je cuidais (1) froide certainement,
Mais c'était feu, l'expérience en ai-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouverai-je place
Pour n'ardre (2) point ? Anne ta seule grâce
Eteindre peut le feu, que je sens bien,
Non point par eau, par neige, ni par glace, Turc
Mais par sentir un feu pareil au mien.

Marot, Epigrammes, 1545.


 1. Cuider : tenir pour, trouver. 2. Ardre : brûler.

Ill. Bataille de neige dans le "Tacuinum sanitatis" : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tacuinum_sanitatis

lundi 29 octobre 2018

La poésie du XVIe en France

La poésie du XVIe siècle est avant tout influencée par l’humanisme, mouvement de pensée européen qui se caractérise par une volonté de retour aux sources de l’antiquité. Le Moyen Âge avait développée la pensée scolastique qui visait à concilier les grands principes du christianisme et les acquis de la philosophie antique pour exalter l’œuvre de Dieu. Les humanistes vont placer l’homme au centre de leur préoccupation et préconisent l’étude du latin et du grec pour accéder directement aux grands textes de l’antiquité. 
Un poète comme Marot qui sera jugé par Ronsard ou du Bellay, ses grands contemporains, comme un poète archaïque participe de cette aventure et le fameux "Dizain de neige" est bel et bien inspiré d’un poème de Pétrone (voir par la suite). 
Deux grands foyers intellectuels vont marquer la poésie du XVIe siècle. L’école lyonnaise qui se constitue autour de la personnalité érudite de Maurice Scève et La Pléiade, souvent considérée comme le mouvement initiateur de la poésie moderne. 
La Renaissance devait d’abord passer par Lyon, la ville située aux confluents du Rhône et de la Saône, est géographiquement proche de l’Italie et devient une plaque tournante de l’économie européenne. Le mode de vie à l’italienne s’y impose sans difficulté et les premiers salons où se réunissent intellectuels et artistes se mettent en place, chez les imprimeurs ou les personnalités influentes.
Louise Labé, gravure de
Pierre Woeiriot, 1555.
La redécouverte des idées de Platon va influencer les poètes, Maurice Scève en particulier qui dans Délie (anagramme de « l’idée ») ne cesse de se référer au fameux mythe de l’androgyne évoqué par le philosophe grec dans Le Banquet. L’homme et la femme constituent une unité perdue que l’amour véritable permet de récréer. L’être aimé apparaît ainsi comme le médiateur qui permet l’accès au monde des idées platonicien. C’est ce monde des Idées qu’évoque Pernette du Guillet, probable dédicataire de Délie et élève de Maurice Scève, dans ses Rymes
Si le groupe lyonnais (Maurice Scève, Olivier de Magny, Claude de Taillemont, Jacques Pelletier du mans) est essentiellement masculin, son inscription dans l’histoire est amplement due aux voix féminines, en particulier à celle de Louise Labé, figure énigmatique, qui publie en 1555 un recueil de vingt quatre sonnets puissamment originaux. L’influence de Pétrarque s’y fait sentir, notamment dans l’utilisation de l’antithèse qui permet de traduire les errements de l’amour et dans le choix formel du sonnet. Mais le parcours des Sonnets révèle avant tout une voix fémine qui explore les tourments de la passion amoureuse, les difficultés de la séparation et la résignation de façon toute personnelle. 
L’école lyonnaise manifeste donc la première, les grandes tendances de la renaissance : prise en compte des influences étrangères, revendication de sources antiques, poésie lyrique. C’est néanmoins la Pléiade qui, se constituant autour de la personnalité Ronsard posera les bases d’une poésie renouvelée, s’appuyant sur l’idée que la langue française possède en elle-même son propre génie poétique.
Ils sont sept, sept jeunes poètes, qui ont l’ambition de renouveler la poésie française. Marot leur semble daté et leur admiration pour les poètes antiques les pousse vers une rhétorique plus fleurie et plus inventive. La plupart d’entre eux (Ronsard, Du Bellay, Baïf) ont eu pour maître le célèbre helléniste Jean Dorat qui leur a transmis sa passion pour les auteurs de l’antiquité. La Pléiade, c’est le nom des sept filles d’Atlas transformées en étoiles mais c’est aussi le patronyme adopté par un groupe de poètes du IIIe av. J.C. au cours de la période alexandrine. La référence à l’antiquité est donc clairement revendiquée et un programme se met en place que Du Bellay se charge de rédiger, il s’agira de Défense et illustration de la langue française, imprimé en 1549. 
Si l’ordonnance de Villers-Cotterêts, promulguée par François 1er a imposé l’usage du français dans les actes juridiques, la latin demeure la langue de l’élite. Les poètes de la Pléiade vont s’attacher à montrer les facultés d’adaptation et le potentiel esthétique du français. Il convient donc de l’enrichir par des emprunts faits aux langues étrangères, par la création de néologismes, l’utilisation de termes issus des langages techniques (l’architecture, peinture, l’orfèvrerie…). Pour illustrer le français, les poètes mettront en avant son potentiel stylistique en utilisant rhétorique raffinée qui n’hésite pas à recourir aux figures style (métaphore, hyperbole, périphrase) et à s’appuyer sur une métrique inventive.
Condamnant les formes médiévales, les poètes de la Pléiade redéfinissent l’ode en s’inspirant d’Horace, généralisent l’utilisation du sonnet (réservé jusque alors à l’expression du sentiment amoureux), préconisent l’imitation de Virgile pour la rédaction d’épopée, un genre estimé noble entre tous. 
Les œuvres de Ronsard (1524-1585) et Du Bellay (1522-1560) vont Odes, 1549, Amours 1552, et Continuation des Amours, 1555, Sonnets pour Hélène, 1578). C’est lorsqu’il chante l’amour avec enthousiasme et spontanéité que Ronsard paraît le plus naturel, il produit alors une poésie enlevée et inventive qui enchante ses contemporains. 
Portrait de Ronsard, école
de Blois, environs de 1560.
profondément marquer l’histoire littéraire, le premier, proche des souverains, sacré « prince des poètes » de son vivant, connaît la gloire avec ses recueils de poésie lyrique (
Son statut de poète officiel le conduira à rédiger des œuvres plus académiques, La Franciade, une épopée à la gloire des souverains français ou des Hymnes consacrés aux personnalités aristocratiques de son temps. 
L’œuvre de Du Bellay demeurera longtemps plus confidentielle, après un premier recueil largement inspiré par la rhétorique pétrarquiste, L’Olive (1550), Du Bellay qui séjourne en Italie en tant que secrétaire de son cousin cardinal produit deux recueils plus intimistes où il exprime ses déceptions et sa nostalgie à la cour papale : Les Regrets et Les Antiquité de Rome en 1558. Ronsard et Du Bellay sont considérés comme les initiateurs du lyrisme moderne, tous deux ont su faire entendre une voix éminemment personnelle tout en renouvelant et modernisant les codes poétiques offrant à leurs successeurs une palette étendue de techniques et d’outils rhétoriques et métriques nouveaux.