mercredi 16 octobre 2019

The starry night shall tidings bring (Emily Brontë)

Julius Von Leypold, Le Voyageur dans la tempête, 1835.
The starry night shall tidings bring°: 
Go out upon the breezy moor, 
Watch for a bird with sable wing, 
And beak and talons dropping gore. 

Look not around, look not beneath, 
But mutely trace its airy way°; 
Mark where it lights upon the heath, 
Then wanderer kneel down and pray. 

What fortune may await thee there 
I will not and I dare not tell, 
But Heaven is moved by fervent prayer 
And God is mercy - fare thee well°! 

La nuit étoilée est porteuse de nouvelles ;
Sors sur la lande et cherche au vent,
Un oiseau noir, à l’aile funèbre
Aux bec et serres rougis de sang.

Ferme ton regard à l’entour,
Et, silencieux, suis son parcours dans les airs ;
Ne retiens, sur la bruyère, que son tracé de lumière,
Et puis, voyageur, agenouille-toi et prie.

Quel sort, là-bas, peut bien t’attendre,
Je ne veux, je n’ose le dire, mais
Les ferventes prières touchent le ciel,
Et Dieu est merci - qu’il te protège !

Emily Brontë, The Complete Poems, posth., 1910.

Le vieux stoïque (Emily Brontë)

Emily Brontë
Je n’ai que peu d’estime pour les richesses
Et par dérision, je ris de l’amour
L’Ambition de la gloire n’aura été qu’un rêve
Qui s’évanouit avec le jour –

Si je prie – la seule prière
Que profèrent à mon intention mes lèvres
Est – « Laisse dès maintenant le cœur
Que je porte et procure moi la liberté. »

Oui mes jours éphémères touchent à leur but
Tout ce que j’implore, c’est à travers la vie,
 La mort, une âme délivrée de ses chaînes
 Et le courage d’endurer.

 Emily Brontë, Poems by Currer, Ellis & Acton Bell, 1846.

Ode au rossignol (Keats)

Robert Walker Macbeth,
Le Chant du rossignol, 1904.
VI
Debout dans la nuit, j’écoute et plus d’une fois,
J’ai été presque amoureux de la mort apaisante,
Je lui ai donné de doux noms en plus d’un vers pensif,
Pour qu’elle enlevât dans l’air mon souffle calme ;
Maintenant plus que jamais il semble délicieux de mourir,
De finir à minuit sans souffrance
Pendant qu’au dehors lu répands ton âme
               Dans une telle extase !
Tu chanterais encore ; moi, j’aurais des oreilles qui n’entendraient pas —
Ton sublime Requiem résonnerait sur un tertre de gazon.

VII
Mais toi, tu n’es pas né pour la mort, immortel Oiseau,
Il n’y a pas de générations affamées pour te fouler au pieds ;
La voix que j’entends cette nuit fut entendue
Dans les anciens jours par empereurs et manants :
Peut-être cette même chanson fit tressaillir
Le triste cœur de Ruth , lorsque regrettant sa patrie,
Elle se tenait en larmes parmi les blés de l’étranger ;
Peut-être est-ce toi-même qui souvent as
Charmé de magiques fenêtres, s’ouvrant sur l’écume
Des mers périlleuses, en de féeriques terres délaissées.

 John Keats, Poèmes et poésies, « Ode au rossignol » 
 (Poème de huit dizains, 1919), trad. de Paul Gallimard, 1910.

Hymne à la nuit (Novalis)

Caspar Friedrich, Coucher de soleil, 1830.
Le matin doit-il toujours revenir ? La puissance terrestre ne finit-elle jamais ? Nos malheureuses occupations enlèvent à la nuit le charme qui lui appartient. Quand verra-t-on fumer sans cesse le sacrifice mystérieux de l’amour ? La durée de la lumière est déterminée, mais la durée et la puissance de la nuit sont sans bornes. Heureux sommeil, ne viens pas trop rarement consoler dans leur vie de chaque jour les élus de la nuit. Ils sont fous ceux-là qui te méconnaissent. Ils ne sentent pas ta présence dans les flots d’or qui découlent de la grappe, dans l’huile de l’amandier, dans le suc du pavot. Ils ne savent pas que c’est toi qui planes autour de la jeune fille et qui emportes son cœur au ciel ; ils ne pressentent pas que tu nous arrives du domaine des anciennes histoires, et que tu portes, messager secret, la clef de la demeure des bienheureux et des mystères infinis. 
Novalis, Hymnes à la nuit (1800), 
trad. Xavier Marnier, 1833.

dimanche 6 octobre 2019

Ondine (Aloysius Bertrand)

Waterhouse, Une Naïade, 1893.
« Ecoute ! – Ecoute ! – C'est moi, c'est Ondine (1) qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et voici en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi. 

Chaque flot est un ondin (2) qui nage dans le courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air. 

Ecoute ! Ecoute !– Mon père bat l'eau coassante d'une branche d'aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ! » 

Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l'époux d'une ondine , et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs. 

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus. 

Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842. 

(1) Ondine : Héroïne d’une légende germanique. Fée des eaux, elle tombe amoureuse d’un chevalier qui mourra pour l’avoir trahie. 
(2) ondine : employés comme noms propres, ondines et ondins sont des divinités des eaux.

Un Rêve (Aloysius Bertrand)

Louis Janmot, Le Cauchemar, 1855.



J’ai rêvé tant et plus, mais je n’y entends note.
Pantagruel, livre III.


Il était nuit. Ce furent d'abord, - ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, - une abbaye aux murailles lézardées par la lune, - une forêt percée de sentiers tortueux, - et le Morimont (*) grouillant de capes et de chapeaux.

Ce furent ensuite, - ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, - le glas funèbre d'une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, - des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque fleur le long d'une ramée, - et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnent un criminel au supplice.

Ce furent enfin, - ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, - un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, - une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, - et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue.

Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.

Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, - et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.
Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842

* C'est à Dijon, de temps immémorial la place aux exécutions.