lundi 15 juillet 2019

"C'est fait, belle Caliste..." (Malherbe)

Caspar Netscher, Portrait de femme, 1671.
C'est fait, belle Caliste, il n'y faut plus penser :
Il se faut affranchir des lois de votre empire ;
Leur rigueur me dégoûte, et fait que je soupire
Que ce qui s'est passé n'est à recommencer.

Plus en vous adorant je me pense avancer,
Plus votre cruauté, qui toujours devient pire,
Me défend d'arriver au bonheur où j'aspire,
Comme si vous servir était vous offenser :

Adieu donc, ô beauté, des beautés la merveille
Il faut qu'à l'avenir la raison me conseille,
Et dispose mon âme à se laisser guérir.

Vous m'étiez un trésor aussi cher que la vie :
Mais puisque votre amour ne se peut acquérir,
Comme j'en perds l'espoir, j'en veux perdre l'envie.

 Malherbe, Recueil des plus beaux vers de ce temps, 1627.

Consolation à M. du Périer (Malherbe)

Marianne Stokes, La jeune fille et la mort, 1900.
Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
       Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
       L’augmenteront toujours !

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
       Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
       Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas(1) son enfance était pleine,
       Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
       Avecque(2) son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
       Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
       L’espace d’un matin.

Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,
       Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
       Qu’en fût-il advenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
       Elle eût plus d’accueil ?
Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste
       Et les vers du cercueil ?

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque (3)
       Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la barque (4),
       Et ne suit point les morts.

 Malherbe, Consolation à M. du Périer, (poème de 84 vers) 1599.

(1) Appas : charmes. (2) Avecque : avec. (3) Parque : les trois Parque avaient pour fonction de filer la vie humaine. Atropos est celle qui est chargée de couper le fil de la vie. (4) La barque : la barque de Charon, le passeur de l’enfer, dans la mythologie grecque.

Mais si faut-il mourir... (Sponde)

Pieter Claesz, Nature morte à la bougie, 1627.
Mais si(1) faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort(2), sentira ses fureurs ;
Les soleils hâleront ces journalières fleurs,
Et le temps crèvera cette ampoule(3) venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs(4) ;
L’huile de ce tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive écumeuse.

J’ai vu ces clairs éclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux.
Ou d’une ou d’autre part, éclatera l’orage.

J’ai vu fondre la neige, et ces torrents tarir ;
Ces lions rugissants, je les ai vus sans rage.
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

 Jean de Sponde, Essai de quelques poèmes chrétiens, 1588. 

(1) Mais sl : cependant. (2) Qui brave de la mort : qui brave la mort ; (3) Ampoule : Boursoufflure, image de la vanité de l’homme dans le temps de sa vie. (4) Dans ces vers 4 et 5, le poète reprend un lieu commun de la peinture baroque, la bougie qui se consume, image de la brièveté de la vie.

"Notre vie est semblable à la lampe enfumée..." (Chassignet)

Détail du tableau de La Tour, Marie Madeleine pénitente, 1635.
Notre vie est semblable à la lampe enfumée,
Aux uns le vent la fait couler soudainement,
Aux autres il l'éteint d'un subit soufflement
Quand elle est seulement à demi allumée,

Aux autres elle luit jusqu'au bout consumée,
Mais, en fin, sa clarté cause son brûlement :
Plus longuement elle art(1), plus se va consumant,
Et sa faible lueur ressemble à sa fumée.

Même son dernier feu est son dernier coton (2)
Et sa dernière humeur que le trépas glouton
Par divers intervalle ou tôt ou tard consume.

Ainsi naître et mourir aux hommes ce n'est qu'un
Et le flambeau vital qui tout le monde allume,
Ou plus tôt ou plus tard, s'éloigne d'un chacun.

Chassisgnet, Mépris de la vie et consolation contre la mort, 1594.


 (1) Elle art : elle brûle. (2) Coton : mèche de la chandelle.

vendredi 12 juillet 2019

Baroque et Classicisme

Les mouvements baroque (fin XVIe – XVIIe en France) et classique qui s’élaborent et se confrontent tout au long du XVIIe semblent particulièrement antithétiques, tants leurs principes esthétiques semblent opposés et pourtant les grands artistes du XVIIe siècle (Corneille, La Fontaine, Molière) subissent leur double influence, sans que l’unité de leur œuvre ait à en souffrir. 
Le mot baroque renvoie à la bizarrerie, à l’excentricité son origine est portugaise, le mot barocco renvoyant à une perle de forme « irrégulière ». Le mot baroque sera utilisé à partir de la fin du XIXe siècle pour désigner cette forme d’art qui, par opposition au classicisme, donnait la primauté au sentiment et à la démesure.
Les grandes découvertes, la fin des illusions qu’avait pu entretenir le « géocentrisme », un contexte d’épidémies et de guerres font naître un pessimisme foncier. Les poètes constatent l’impermanence de la vie et du monde, l’omniprésence de la mort. 
Jean de Sponde (1557-1595) est l’un des premiers à s’inscrire dans cette nouvelle esthétique aux accents angoissés et fatalistes (p. x) qui tranchent sur les variations souriantes ou doucement mélancoliques de la Pléiade. Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635), Pierre de Marbeuf (1596-1645) et même Malherbe (l’une des références du classicisme) constatent la vanité de l’existence humaine, le caractère périssable de toute chose pour en arriver à la conclusion que, dans cette existence fugace qu’est celle de l’homme, il n’existe qu’une seule certitude : celle de l’impermanence des êtres et des choses. 
Si les poètes baroques se réfèrent à l’antiquité, c’est à celle d’Ovide et de ses Métamorphoses qui leur offrent tout un réseau d’images et de mythes susceptible de traduire la mouvance de l’existence mais aussi les nuances du sentiment amoureux que l’on décline sous toutes ses formes. 
Dans cet univers inconstant, la femme aimée redevient un point de repère et l’objet de toutes les attentions, le discours amoureux influencé par les romans pastoraux d’Honoré d’Urfé et de Mme de Scudéry  se fait précieux. L’amante dotée de surnoms recherchés (Amaranthe, Calliste, Phillis, ) est célébrée avec esprit et parfois même un peu d’affectation et d’excès dans les œuvres de Théophile de Viau (1590-1626) et Vincent Voiture (1597-1648). Le poète ne va-t-il pas jusqu’à suggérer, dans un sonnet culte (La belle matineuse) que beauté de la femme aimée supplante la lumière du jour naissant. 
Les excès du baroque et de la préciosité devaient appeler une réaction : ce fut le classicisme. Le classicisme s’épanouit principalement sous le règne de Louis XIV, des théoriciens (Malherbe, Chapelain, Vaugelas, Boileau) se réfèrent à Aristote pour définir les principes du Beau qui repose sur deux piliers : équilibre et unité. L’équilibre doit gouverner la composition de l’œuvre – c’est à Malherbe par exemple, que l’on doit le principe de la césure à l’hémistiche; l’unité caractérisera plutôt sa tonalité. 
Les principes d’équilibre et d’unité se fondent sur une représentation du monde et sur des principes radicalement opposés à ceux de l’esthétique baroque. A la mouvance et à l’impermanence, les classiques opposent la vision d’un monde achevé que la raison va pouvoir décrire. 
Le classique, par son art, cherchera à atteindre l’universalité, à manifester les lois d’un univers qui manifeste la perfection divine. Si le classicisme à durablement marqué son empreinte sur l’architecture, la peinture ou les arts dramatiques, il n’a que peu influencé la poésie lyrique. 
Le grand poète du XVIIe siècle est La Fontaine qui s’illustre dans l’art de la fable. Malherbe qui servira de référence en matière de poétique abandonne peu à peu l’expression lyrique pour, devenu poète officiel, composer des œuvres de circonstances chantant les louanges des grands de son temps. Racine (1639-1699) qui en 1694 a depuis longtemps abandonné le théâtre rédige ses Cantiques spirituels destinés à être mis en musique, on y retrouve l’indéniable qualité de versificateur du dramaturge qui semble vouloir retrouver une foi authentique. 
 En un siècle où la représentation de l’universalité est devenue une finalité esthétique, l’expression du moi et de ses tourments semble s’effacer. Pascal avait jugé le moi « haïssable », les poètes semblent lui donner raison et le chant lyrique se met en sommeil, le siècle des Lumières toujours marqué par l’esthétique classique et tout occupé de promouvoir la raison ne laisse, lui aussi, que peu de place au lyrisme, il faudra attendre la révolution romantique pour le voir retrouver ses lettres de noblesse.

mardi 9 juillet 2019

"Jamais je n'aurais cru que la neige renferme le feu..." (Pétrone)

Pétrone
Où l'on découvre que Marot, lui aussi, pratiquait l'imitation des anciens...

Jamais je n'aurais cru que la neige renferme le feu; mais, l'autre jour, Julie me jeta de la neige et cette neige était feu. Qu’est-il de plus froid que la neige? Et pourtant, Julie, une boule de neige que ta main m’a lancé, a pu enflammer mon cœur. Où trouverai-je maintenant un refuge assuré contre les pièges de l'Amour, si même une onde glacée dissimule sa flamme ? Tu peux cependant, Julie, éteindre l'ardeur qui me consume, non avec de la neige, non avec de la glace mais en te consumant d'un feu pareil.

Pétrone, Satiricon, traduction (revue) de Charles Héguin de Guerle, 1885.