dimanche 30 décembre 2018

Soleils couchants (Verlaine)

Maslowski, Lune au couchant, 1884.
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves.

Verlaine, Poèmes saturniens, 1866.

samedi 22 décembre 2018

Je me ferai savant ... (Du Bellay)

Du Bellay par Jean Cousin
Je me ferai savant en la philosophie,
En la mathématique, et médecine aussi :
Je me ferai légiste (1), et d’un plus haut souci
Apprendrai les secrets de la théologie (2) :

Du luth et du pinceau j’ébatterai (3) ma vie,
De l’escrime et du bal : je discourais ainsi,
Et me vantais en moi d’apprendre tout ceci,
Quand je changeai la France au (4) séjour d’Italie.

Ô beaux discours humains ! Je suis venu si loin,
Pour m’enrichir d’ennui, de vieillesse, et de soin ,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon âge.

Ainsi le marinier souvent pour tout trésor
Rapporte des harengs en lieu de lingots d’or,
Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage.

 Du Bellay, Les Regrets, 1558. 

 1. Légiste : spécialiste de la loi. 2. Théologie : étude des questions religieuses. 3. Ebattre : divertir, amuser. 4. Au : pour. 5. Soin : souci.

Heureux qui, comme Ulysse... (Du Bellay)

Ruines de la maison natale de Du Bellay,
La Turmelière, en Anjou.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau (1) voyage,
Ou comme cestui-là (2) qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage (3) et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos (4) de ma pauvre maison,
Qui m’est une province (5), et beaucoup d’avantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux ;
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,

Plus mon Loire (6) Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré (7), que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

Du Bellay, Les Regrets, 1558.

1. Beau : exemplaire, héroïque. 2. Cestui-là : celui-là. 3. Usage : expérience, sagesse. 4. Clos : l’enclos, le jardin. 5. Province : royaume, par métonymie. 6. Loire : le mot est masculin, en référence au latin. 7. Liré : village natal de Du Bellay. 

Pour un commentaire du poème : http://saintjo22.blogspot.com/2018/12/analyse-lineaire-de-heureux-qui-comme.html

Si nôtre vie est moins qu’une journée (Du Bellay)

Platon et Aristote (Détail de "L'école
d'Athènes" de Raphaël, 1512)

Si nôtre vie est moins qu’une journée
En l’éternel (1), si l’an qui fait le tour
Chasse nos jours sans espoir de retour,
Si périssable est toute chose née,

Que songes-tu mon âme emprisonnée (2) ?
Pourquoi te plaît l’obscur de nôtre jour,
Si pour voler en un plus clair séjour (3),
Tu as au dos l’aile bien empennée (4) ?

Là, est le bien que tout esprit désire,
Là, le repos où tout le monde aspire,
Là, est l’amour, là, le plaisir encore.

Là, ô mon âme au plus haut ciel guidée !
Tu y pourras reconnaître l’Idée
De la beauté, qu’en ce monde j’adore.

 Du Bellay, L’Olive, 1549. 

 1. En l’éternel : dans l’éternité. 2. L’âme emprisonnée : l’âme prisonnière du corps. 3. Un plus clair séjour : le monde des idées de Platon. 4. Empennée : dotée pourvue de plumes, les « ailes de l’âme », toujours selon Platon.

vendredi 14 décembre 2018

Quand vous serez bien vieille... (Du Bellay)

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant (1) et filant (2),
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant,
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors (3) vous n'aurez servante oyant (4) telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os :
Par les ombres Myrtheux (5) je prendrai mon repos.
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour, et votre fier (6) dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'hui les roses de la vie.

 Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578. 

1. Dévider : dérouler le fil qui se trouve sur le fuseau. 
2. Filer : transformer en fil, éventuellement tisser. 
3. Lors : Alors. 
4. Oyant : Entendant. 
5. Myrteux : s’accorde avec ombres (masculin). Le myrte est un arbre à feuilles persistantes, la tradition latine le consacrait à Venus, déesse de l’amour. 
6. Fier : cruel.

Te regardant assise auprès de ta cousine… (Ronsard)

Botticelli, "Lettres d'ivoire", détail
Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté sur la rive voisine,

La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair, sur moi jeta son œil :
Toi comme paresseuse, et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.

Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive tout à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé (1),

Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime
J'eus peur de ton silence, et m'en-allai tout blême,
Craignant que mon salut n'eût ton œil offensé.

 Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578. 

 1. Ramassé :Replié.

Comme on voit sur la branche… (Ronsard)

Jean Cousin, Eva Prima Pandora, 1550.
Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :

 La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose (1),
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur (2),
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose (3) :

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque (4) t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

 Ronsard, Sur la mort de Marie, 1578. 

1 Se repose : l’accord se fait avec le sujet le plus proche. L’orthographe moderne commanderait « se reposent ». 
2. Ardeur : chaleur. 
3.Déclose : employé de façon intransitive, le verbe signifie se détacher d’un ensemble. 
4. Parque : déesse de la destinée humaine.

samedi 24 novembre 2018

Belle, gentille, honnête, humble et douce Marie… (Ronsard)

Toussaint Dubreuil, "La toilette de Hyanthe
et Climène", Louvres, fin XVIe
Belle, gentille, honnête, humble et douce Marie,
Qui mon cœur dans vos yeux prisonnier détenez,
Et qui par monts et vaux comme esclave menez
De votre blanche main ma prisonnière vie.

Hé quantes (1) fois le jour me prend il une envie
De rompre vos prisons, mais plus vous me donnez
Espoir de liberté, plus vous m'emprisonnez
L'âme, qui languirait sans vous être asservie.

Ha je vous aime tant que je suis fol pour vous,
J'ai perdu ma raison, et ma langue débile (2).
Au milieu des propos vous nomme à tous les coups,

Vous, comme son sujet, sa parole, et son style,
Et qui parlant ne fait qu’interpréter (3), sinon (4)
Mon esprit qui ne pense en rien qu'en votre nom. 

Ronsard, Nouvelle continuation des Amours, 1556. 


1. Quantes : combien de… 
2. Débile : faible, qui manque de force. 
3. Interpréter ; traduire. 
4. Sinon, si ce n’est.

dimanche 18 novembre 2018

Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose ...(Ronsard)

"Portrait de jeune fille", anonyme allemand,
XVIe siècle tardif, Musée de Philadelphie.

Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose(1),
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur(2),
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose (3) :

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque (4) t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.
Ronsard, Sur la mort de Marie, 1578.

1. Se repose : l’accord se fait avec le sujet le plus proche. L’orthographe moderne commanderait « se reposent ». 
2. Ardeur : chaleur. 
3. Déclose : employé de façon intransitive, le verbe signifie se détacher d’un ensemble. 
4. Parque : déesse de la destinée humaine.

samedi 17 novembre 2018

Marie, levez-vous... (Ronsard)

Détail de La descente du Christ aux
 Limbes
 d'Agnolo Bronzino,
Musée Santa Croce.
Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse :
Jà(1) la gaie alouette au ciel a fredonné,
Et jà le rossignol doucement jargonné(2),
Dessus l'épine assis, sa complainte(3) amoureuse.

Sus(4) ! Debout ! Allons voir l'herbelette(5) perleuse,
Et votre beau rosier de boutons couronné,
Et vos œillets mignons auxquels aviez donné,
Hier au soir, de l'eau d'une main si soigneuse.

Harsoir(6) en vous couchant vous jurâtes vos yeux(7)
D'être plus tôt que moi ce matin éveillée;
Mais le dormir de l'Aube, aux filles gracieux(8),

Vous tient d'un doux sommeil encor les yeux sillée(9).
Ca(10) ! ça ! que je les baise et votre beau tétin,
Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.

Ronsard, Second livre des amours, 1555. 

1. Jà : déjà. 
2. Jargonner : gazouiller, jaser. 
3. Complainte : chant mélancolique. 
4. Sus : adverbe utilisé comme interjection, vers le haut. 
5. Herbelette : gazon. 
6. Harsoir : hier soir, en patois d’Anjou. 
7. Vous jurâtes vos yeux : Vous avez jurez sur vous yeux (ce que vous avez de plus précieux). 
8. Gracieux : favorable, bienveillant. L’aube est personnifiée et le groupe construit en hypallage le mot complète « dormir », alors que c’est Marie qui devrait se trouver en position de complément. 
9. Sciller : clore, fermer, l’accord se fait avec « vous ». 
10. Ca : Interjection qui marque une interpellation.

mardi 13 novembre 2018

Ode à Cassandre (Ronsard)

Mignonne, allons voir si la Rose,
Qui ce matin avait déclose (1)
Sa robe de pourpre (2) au Soleil,
A point perdu ceste vesprée (3),
Les plis de sa robe pourprée.
Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place  (4),
Las, las, ses beautés laissé choir (5) !
Ô vraiment marâtre (6) Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne (7)
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Ronsard, Odes, 1552. 

1. Déclose : ouverte.
2. Pourpre : rouge.
3. La vesprée : la fin de l’après-midi.
4. Dessus la place : en cet endroit même.
5. Choir : tomber.
6. Marâtre : qui agit à la manière d’une marâtre (mauvaise mère), méchante.
7. Fleuronne : se couvre de fleurs, par métaphore « votre âge vous couvre de beautés ».

vendredi 9 novembre 2018

La nuit était pour moi si très-obscure (Pernette du Guillet)

Pacchiarotti (1474-1540), "Jeune femme écrivant
dans un psautier".


La nuit était pour moi si (1) très-obscure
Que Terre et Ciel elle m'obscurcissait,
Tant qu'à Midi de discerner figure
N'avais pouvoir – qui (2) fort me marrissait (3),
Mais quand je vis que l'aube apparaissait
En couleurs mille (4) et diverse, et sereine
Je me trouvai de liesse si pleine
Voyant déjà la clarté à la ronde
Que commençai louer à voix hautaine (5)
Celui qui fit pour moi ce Jour au Monde.

 Pernette du Guillet, Rymes, 1545.

1. Si : adverbe d’intensité, marquant le plus haut degrè, fait redondance avec « très ». 
2. Qui : ce qui. 
3. Me marissait : me désolait, m’affligeait 
4. Mille : adjectif qui renvoie à l’idée de très grand nombre. 
5. A voix hautaine : à haute voix.

samedi 3 novembre 2018

Ne reprenez, Dames... (Louise Labé)

Louise Labé, vitrail de
Lucien Bégule, 1899.

Ne reprenez (1), Dames, si j'ai aimé :
Si j'ai senti mile torches ardentes,
Mille travaux (2), mille douleurs mordantes :
Si en pleurant, j'ai mon temps consumé,

Las, que mon nom n'en soit par vous blâmé.
Si j'ai failli, les peines sont présentes,
N'aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu'Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d'un Vulcain excuser(3),
Sans la beauté d'Adonis accuser (4),
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses :

En ayant moins que moi d'occasion,
Et plus d'étrange (5) et forte passion.
Et gardez vous d'être plus malheureuses.

Louise Labé, Sonnets (XXIV), 1555.


1.  Ne reprenez : ne me blâmez pas.
2. Travaux : supplices.
3. ... d’un Vulcan excuser :« Sans que vous ayez l’excuse d’être la femme d’un Vulcain. ». Vénus la déesse de l’amour avait été mariée à Vulcain, le plus laid des Dieux. Elle l’avait trompé avec Mars, le dieu de la guerre.
4.   … Adonis accuser : « Sans que vous puissiez accuser la beauté de votre amant, comparable à celle d’adonis », d’être responsable de votre faute.
5. Etrange : aliénante.


Tant que mes yeux pourront larmes épandre... (Louise Labé)

Hopper, "Automat", 1927.

Tant que mes yeux pourront larmes épandre (1),
À l'heur(2) passé avec toi regretter :
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard (3) Luth, pour tes grâces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors (4) que toi comprendre (5) :

Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Prierai la Mort noircir mon plus clair jour.

Louise Labé, Sonnets (XIV), 1555.

1. Epandre : répandre.
2. L’heur : le bonheur ; comprendre « A regretter le bonheur passé avec toi ».
3. Mignard : gracieux, délicat.
4. Fors : sauf, excepté.
5. Comprendre : contenir.

Je vis, je meurs... (Louise Labé)

Waterhouse, "The blue necklace", 1899.

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
J'ai chaud extrême (1) en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle (2) et trop dure.
J'ai grands ennuis (3) entremêlés de joie :

Tout à un coup (4) je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief (5) tourment j'endure :
Mon bien (6) s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup (7) je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur (8),
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé, Sonnets (VIII), 1555.


1. Extrême : adverbe, équivalent de « très » ou « extrêmement »
2. Molle : douce.
3. Ennuis : peines, chagrins.
4. Tout à un coup : au même instant.
5. Grief : adjectif, grave.
6. Mon bien : Comprendre mon « mon bonheur ».
7. Tout en un coup : dans un même mouvement.
8. Mon désiré heur : le bonheur auquel je prétends, j’aspire.


"O beaux yeux bruns, ô regards détournés..." (Louise Labé)

Buste de femme, médaillon viennois du XVIe siècle.

O beaux yeux bruns, ô regards détournés
O chauds soupirs, ô larmes épandues,
O noires nuits vainement attendues,
O jours luisants vainement retournés :

O tristes pleins, ô désirs obstinés,
O temps perdu, ô peines dépendues,
O mille morts en mille rets tendues,
O pires maux contre moi destinés.

O ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts :
O luth plaintif, viole, archet et voix :
Tant de flambeaux pour ardre une femmelle !

De toi me plains, que tant de feux portant,
En tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,
N'en est sur toi volé quelque étincelle.

Louise Labé, Sonnets (II), 1555.

1. Epandues : répandues.
2. Retournés : revenus.
3. Pleins : plaintes.
4. Dépendues : gaspillées, perdues.
5. Contre moi destinés : comprendre, « qui me sont adressés, destinés ».
6. Ris : rires.
7. Ardre : brûler.
8. Femmelle : femme.
9. Tâtant : touchant. Comprendre : « Je me plains de ce que tant de feux ayant touché mon cœur en tant d’endroits… »
10. N’en est sur toi volé : Forme impersonnelle, « Il n’en est volé sur toi… »

mercredi 31 octobre 2018

"Plutôt seront Rhône et Saône disjoints..." (Maurice Scève)


Portrait de Maurice Scève,
 gravure sur cuivre, anonyme,
XVIe siècle
Plutôt seront Rhône et Saône disjoints,
Que d’avec toi mon cœur se désassemble (1) :
Plutôt seront l’un et l’autre mont joints,
Qu’avecques nous aucun discord (2) s’assemble :
Plutôt verrons et toi et moi ensemble
Le Rhône aller contremont (3) lentement,
Saône monter très violentement (4),
Que ce mien feu (5), tant soit peu, diminue,
Ni que ma foi (6) décroisse aucunement.
Car ferme amour sans eux est plus que nue (7).
Maurice Scève, Délie, 1544.
1. Désassembler : désunir. 
2. Discord: Dispute, désaccord. 
3. Contremont : Vers le haut, vers la source donc. 
4. Violentement : Violemment. 
5. Ce mien feu : Ce feu (métaphore de la passion) qui est le mien. 
6. Foi : Fidélité à un engagement. 
7. Nue : Nuage.

"Plus ne suis ce que j'ai été..." (Marot)

Portrait probable de Marot (Corneille de Lyon, 1536)

Plus ne suis ce que j'ai été,
Et ne le saurais jamais être.
Mon beau printemps et mon été,
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t'ai servi sur tous les Dieux.
Oh si je pouvais deux fois naître,
Comme je te servirais mieux !

Marot, Epigrammes, 1545.

Le Dizain de neige (Marot)

Anne par jeu me jeta de la neige,
Que je cuidais (1) froide certainement,
Mais c'était feu, l'expérience en ai-je,
Car embrasé je fus soudainement.
Puisque le feu loge secrètement
Dedans la neige, où trouverai-je place
Pour n'ardre (2) point ? Anne ta seule grâce
Eteindre peut le feu, que je sens bien,
Non point par eau, par neige, ni par glace, Turc
Mais par sentir un feu pareil au mien.

Marot, Epigrammes, 1545.


 1. Cuider : tenir pour, trouver. 2. Ardre : brûler.

Ill. Bataille de neige dans le "Tacuinum sanitatis" : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tacuinum_sanitatis

lundi 29 octobre 2018

La poésie du XVIe en France

La poésie du XVIe siècle est avant tout influencée par l’humanisme, mouvement de pensée européen qui se caractérise par une volonté de retour aux sources de l’antiquité. Le Moyen Âge avait développée la pensée scolastique qui visait à concilier les grands principes du christianisme et les acquis de la philosophie antique pour exalter l’œuvre de Dieu. Les humanistes vont placer l’homme au centre de leur préoccupation et préconisent l’étude du latin et du grec pour accéder directement aux grands textes de l’antiquité. 
Un poète comme Marot qui sera jugé par Ronsard ou du Bellay, ses grands contemporains, comme un poète archaïque participe de cette aventure et le fameux "Dizain de neige" est bel et bien inspiré d’un poème de Pétrone (voir par la suite). 
Deux grands foyers intellectuels vont marquer la poésie du XVIe siècle. L’école lyonnaise qui se constitue autour de la personnalité érudite de Maurice Scève et La Pléiade, souvent considérée comme le mouvement initiateur de la poésie moderne. 
La Renaissance devait d’abord passer par Lyon, la ville située aux confluents du Rhône et de la Saône, est géographiquement proche de l’Italie et devient une plaque tournante de l’économie européenne. Le mode de vie à l’italienne s’y impose sans difficulté et les premiers salons où se réunissent intellectuels et artistes se mettent en place, chez les imprimeurs ou les personnalités influentes.
Louise Labé, gravure de
Pierre Woeiriot, 1555.
La redécouverte des idées de Platon va influencer les poètes, Maurice Scève en particulier qui dans Délie (anagramme de « l’idée ») ne cesse de se référer au fameux mythe de l’androgyne évoqué par le philosophe grec dans Le Banquet. L’homme et la femme constituent une unité perdue que l’amour véritable permet de récréer. L’être aimé apparaît ainsi comme le médiateur qui permet l’accès au monde des idées platonicien. C’est ce monde des Idées qu’évoque Pernette du Guillet, probable dédicataire de Délie et élève de Maurice Scève, dans ses Rymes
Si le groupe lyonnais (Maurice Scève, Olivier de Magny, Claude de Taillemont, Jacques Pelletier du mans) est essentiellement masculin, son inscription dans l’histoire est amplement due aux voix féminines, en particulier à celle de Louise Labé, figure énigmatique, qui publie en 1555 un recueil de vingt quatre sonnets puissamment originaux. L’influence de Pétrarque s’y fait sentir, notamment dans l’utilisation de l’antithèse qui permet de traduire les errements de l’amour et dans le choix formel du sonnet. Mais le parcours des Sonnets révèle avant tout une voix fémine qui explore les tourments de la passion amoureuse, les difficultés de la séparation et la résignation de façon toute personnelle. 
L’école lyonnaise manifeste donc la première, les grandes tendances de la renaissance : prise en compte des influences étrangères, revendication de sources antiques, poésie lyrique. C’est néanmoins la Pléiade qui, se constituant autour de la personnalité Ronsard posera les bases d’une poésie renouvelée, s’appuyant sur l’idée que la langue française possède en elle-même son propre génie poétique.
Ils sont sept, sept jeunes poètes, qui ont l’ambition de renouveler la poésie française. Marot leur semble daté et leur admiration pour les poètes antiques les pousse vers une rhétorique plus fleurie et plus inventive. La plupart d’entre eux (Ronsard, Du Bellay, Baïf) ont eu pour maître le célèbre helléniste Jean Dorat qui leur a transmis sa passion pour les auteurs de l’antiquité. La Pléiade, c’est le nom des sept filles d’Atlas transformées en étoiles mais c’est aussi le patronyme adopté par un groupe de poètes du IIIe av. J.C. au cours de la période alexandrine. La référence à l’antiquité est donc clairement revendiquée et un programme se met en place que Du Bellay se charge de rédiger, il s’agira de Défense et illustration de la langue française, imprimé en 1549. 
Si l’ordonnance de Villers-Cotterêts, promulguée par François 1er a imposé l’usage du français dans les actes juridiques, la latin demeure la langue de l’élite. Les poètes de la Pléiade vont s’attacher à montrer les facultés d’adaptation et le potentiel esthétique du français. Il convient donc de l’enrichir par des emprunts faits aux langues étrangères, par la création de néologismes, l’utilisation de termes issus des langages techniques (l’architecture, peinture, l’orfèvrerie…). Pour illustrer le français, les poètes mettront en avant son potentiel stylistique en utilisant rhétorique raffinée qui n’hésite pas à recourir aux figures style (métaphore, hyperbole, périphrase) et à s’appuyer sur une métrique inventive.
Condamnant les formes médiévales, les poètes de la Pléiade redéfinissent l’ode en s’inspirant d’Horace, généralisent l’utilisation du sonnet (réservé jusque alors à l’expression du sentiment amoureux), préconisent l’imitation de Virgile pour la rédaction d’épopée, un genre estimé noble entre tous. 
Les œuvres de Ronsard (1524-1585) et Du Bellay (1522-1560) vont Odes, 1549, Amours 1552, et Continuation des Amours, 1555, Sonnets pour Hélène, 1578). C’est lorsqu’il chante l’amour avec enthousiasme et spontanéité que Ronsard paraît le plus naturel, il produit alors une poésie enlevée et inventive qui enchante ses contemporains. 
Portrait de Ronsard, école
de Blois, environs de 1560.
profondément marquer l’histoire littéraire, le premier, proche des souverains, sacré « prince des poètes » de son vivant, connaît la gloire avec ses recueils de poésie lyrique (
Son statut de poète officiel le conduira à rédiger des œuvres plus académiques, La Franciade, une épopée à la gloire des souverains français ou des Hymnes consacrés aux personnalités aristocratiques de son temps. 
L’œuvre de Du Bellay demeurera longtemps plus confidentielle, après un premier recueil largement inspiré par la rhétorique pétrarquiste, L’Olive (1550), Du Bellay qui séjourne en Italie en tant que secrétaire de son cousin cardinal produit deux recueils plus intimistes où il exprime ses déceptions et sa nostalgie à la cour papale : Les Regrets et Les Antiquité de Rome en 1558. Ronsard et Du Bellay sont considérés comme les initiateurs du lyrisme moderne, tous deux ont su faire entendre une voix éminemment personnelle tout en renouvelant et modernisant les codes poétiques offrant à leurs successeurs une palette étendue de techniques et d’outils rhétoriques et métriques nouveaux.