lundi 23 août 2021

Chanson d’automne (Milosz)

 

Corot, Ville d'Avray, 1880.

Écoutez la voix du vent dans la nuit,

la vieille voix du vent, la lugubre voix du vent,

malédiction des morts, berceuse des vivants…

Écoutez la voix du vent.

Il n’y a plus de feuilles, il n’y a plus de fruits

dans les vergers détruits.

Les souvenirs sont moins que rien, les espoirs sont très loin.

Écoutez la voix du vent.

 

Toutes vos tristesses, ô ma Dolente[1], sont vaines.

L’implacable oubli neige sinistrement

sur les tombes des amis et des amants…

Écoutez la voix du vent.

Les lambeaux de l’été suivent le vent de la plaine ; tous vos souvenirs, toutes vos peines

se disperseront dans la tempête muette du Temps.

Écoutez la voix du vent.

 

Elle est à vous, pour un moment, la sonatine[2]

des jours défunts, des nuits d’antan…

Oubliez-la, elle a vécu, elle est bien loin.

Écoutez la voix du vent.

Nous irons rêver, demain, sur les ruines

d’Aujourd’hui ; préparons les paroles chagrines

du regret qui ment quotidiennement.

Écoutons la voix du vent.

O. V. de L. Milosz, Le Poème des décadences, 1899



[1] Dolente : adj. utilisé comme nom, qui se trouve plongé dans la souffrance.

[2] Sonatine : pièce de musique aisée à jouer

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