jeudi 12 août 2021

Baudelaire, le symbolisme et l'esprit fin de siècle

Fantin-Latour, "Un coin de table", 1878.

Publié en 1857, le recueil de Baudelaire, Les Fleurs du Mal pourrait passer pour une heureuse synthèse des entreprises poétiques du XIXe siècle. Le poète semble assumer l’héritage romantique, le mal du siècle prend désormais l’apparence hystérisée du spleen, l’ailleurs constitue toujours une thématique privilégiée. Et le romantisme noir trouve des échos dans certaines pièces marqué par l’onirisme du cauchemar. Mais le poète a déjà dépassé ses prédécesseurs : la dédicace à Théophile Gautier montre que Baudelaire a de plus assimilé l’esthétique parnassienne, le travail de la forme est aussi une priorité : avec les Fleurs du mal, le poète a choisi d’« extraire la beauté du mal ». Un programme qui ne pouvait qu’inquiéter les censeurs du XIXe siècle. L’œuvre sera d’ailleurs condamnée, l’année de sa parution, et repensée puisque Baudelaire en donne une deuxième édition en 1861. 
Non content d’avoir digéré et magnifié les influences diverses de son époque, Baudelaire ouvre aussi la voie à ses successeurs. Sa réflexion sur les correspondances verticales (correspondances entre le monde de l’ici-bas et le monde des idées) et horizontales ou synesthésies (correspondances entre les différentes sensations) ouvre la voie au symbolisme. Sa recherche « du miracle d’une prose poétique » accomplie mais inachevée dans Le Spleen de Paris publié de façon posthume en 1869 annonce les errances visionnaires de Rimbaud. 
C’est Mallarmé qui, dans le dernier tiers du XIXe siècle fait figure de chef de file des symbolistes. Opposé au diktat de l’alexandrin cadencé repris par les parnassiens et à leur obsession d’une dénomination juste de l’objet par un langage recherché, il leur objecte l’art de la suggestion : « Nommer un objet, dit-il à Jules Huret, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. » L’art symboliste sera donc d’abord un art de la suggestion qui privilégie la musique. Les poètes symbolistes cherchent par leurs vers à donner la sensation d’un monde spirituel qui n’est pas le monde idéal des romantiques ou de Baudelaire, mais un univers inconnu, autre, vaguement inquiétant et qui préfigure l’inconscient que découvrira Freud quelques années plus tard. 
Leur poésie qui recherche une langue épurée et peut reléguer au second plan l’expression du sens pour conduire le lecteur à l’abstraction peut paraître hermétique. Si Mallarmé défend une conception élitiste de la poésie, les symbolistes français ou belges restent assez proche du Baudelaire des Fleurs du mal qui prétendait découvrir l’unité secrète du monde dans la recherche des correspondances. 
On assimile parfois Verlaine et Rimbaud à l’école symboliste, ces deux figures majeures de la poésie française illustrent plutôt le constat que fait Mallarmé : « Nous assistons, en ce moment, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans toute l’histoire de la poésie : chaque poète allant, dans son coin, jouer sur une flûte, bien à lui, les airs qu’il lui plaît. » Si Verlaine et Rimbaud ont participé à l’éphémère mouvement zutique qui s’en prenait aux parnassiens leurs œuvres tout en faisant écho aux recherches symbolistes demeurent profondément originales. 
Verlaine avant tout préoccupé par la musicalité du vers se pose, avec les Poèmes saturniens en successeurs de Baudelaire mais ses œuvres ultérieures et notamment Les Romances sans paroles mettent en place une esthétique impressionniste qui déstructure la syntaxe pour mettre au premier plan les errements d’une conscience soumise à ses perceptions. Rimbaud deviendra l’archétype du poète maudit : il met, à vingt ans, un terme à son aventure littéraire pour vivre une vie d’aventurier en Afrique orientale et laisse derrière lui une œuvre d’une densité exceptionnel. Le seul recueil dont il assure la publication, Une saison en enfer, revisite sous forme d’un un voyage hallucinée une existence qui refuse les compromissions et condamne le mercantilisme de la société occidentale. La publication du reste de son œuvre sera assurée par Verlaine, les Poésies et les Illuminations. Les Illuminations par leur usage des associations libres annoncent la poétique surréaliste et concluent de façon brillante l’itinéraire d’un poète qui, par ses exigences de liberté et de spiritualité conjuguées a bouleversé la poésie française. 
La sensibilité décadente qui a trouvé sa plus parfaite expression dans le roman de Huysmans, A rebours (1884), s’exprime dans les œuvres de divers poètes qui détournent les codes poétiques pour tourner en dérision la moralité et des principes esthétiques qu’ils jugent aléatoire. La fantaisie amère de Jules Laforgue, l’autodérision pleine de verve de Tristan Corbière, les poèmes en prose délicatement érotique de Pierre Louÿs traduisent les différentes facettes de l’esprit fin de siècle qui semble, de façon anarchique vouloir rompre avec tous les codes d’une société bourgeoise agonisante.

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