samedi 14 août 2021

Il est d'étranges soirs… (Albert Samain)

Kroyer, Soirée calme sur la plage de Skagen, 1893.

Il est d'étranges soirs où les fleurs ont une âme, 
Où dans l'air énervé flotte du repentir, 
Où sur la vague lente et lourde d'un soupir,
Le cœur le plus secret aux lèvres vient mourir. 
Il est d'étranges soirs, où les fleurs ont une âme, 
Et, ces soirs là, je vais tendre comme une femme. 

Il est de clairs matins, de roses se coiffant, 
Où l'âme a des gaietés d'eaux vives dans les roches, 
Où le cœur est un ciel de Pâques plein de cloches, 
Où la chair est sans tache et l'esprit sans reproches. 
Il est de clairs matins, de roses se coiffant, 
Ces matins là, je vais joyeux comme un enfant. 

Il est de mornes jours, où las de se connaître 
Le cœur, vieux de mille ans, s'assied sur son butin, 
Où le plus cher passé semble un décor déteint, 
Où s'agite un minable et vague cabotin.
Il est de mornes jours las du poids de connaître, 
Et, ces jours-là, je vais, courbé comme un ancêtre. 

Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord, 
Où l'âme, au bout de la spirale descendue, 
Pâle et sur l'infini terrible suspendue, 
Sent le vent de l'abîme, et recule éperdue ! 
Il est des nuits de doute, où l'angoisse vous tord, 
Et, ces nuits-là, je suis dans l'ombre comme un mort. 

Albert Samain, Au jardin de l’Infante, 1893.

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