mardi 24 août 2021

Le Vaisseau d’or (Nelligan)

Ivan Aivazovsky, Le Naufrage, 1883.

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif :

Ses mâts touchaient l’azur, sur des mers inconnues ;

La Cyprine[1] d’amour, cheveux épars, chairs nues,

S’étalait à sa proue, au soleil excessif.

 

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil

Dans l’Océan trompeur où chantait la Sirène,

Et le naufrage horrible inclina sa carène[2]

Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

 

Ce fut un Vaisseau d’or, dont les flancs diaphanes[3]

Révélaient des trésors que les marins profanes[4],

Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputé.

 

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?

Qu’est devenu mon cœur, navire déserté ?

Hélas ! Il a sombré dans l’abîme du Rêve !…

Emile Nelligan, Poésies, 1904



[1] Cyprine : pierre de couleur bleue.

[2] Carène : partie d’un bateau immergée.

[3] Diaphane : qui laisse passer la lumière sans toutefois être transparent.

[4] Profane : qui n’est pas religieux.

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