vendredi 20 août 2021

Les vitres tout à l’heure étaient pâles et nues… (Rodenbach)

Marcel-M.-M. Delamarre de Monchaux, Le Quai du Rosaire, (vers 1920).

Les vitres tout à l’heure étaient pâles et nues. 
Mais peu à peu le soir entra dans la maison ; 
On y sent à présent le péril d’un poison. 
C’est que les vitres, pour le soir, sont des cornues 
Où se distille on ne sait quoi dans leur cristal ; 
Le couchant y répand un or qui les colore ; 
Et pour qu’enfin le crépuscule s’élabore, 
L’ombre, comme pour un apprêt médicinal, 
Semble y verser ses ténèbres, d’une fiole. 
Dans les verres, teintés de ce qui souffre en eux,
Un nuage s’achève, un reflet s’étiole ; 
Il en germe quelque chose de vénéneux, 
Menaçant la maison déjà presque endormie ; 
Et c’est de plus en plus le nocturne élixir… 
Ah ! les vitres et leur délétère chimie 
Qui chaque soir ainsi me font un peu mourir ! 

 Georges Rodenbach, Les Villes encloses, 1896.

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