mercredi 18 août 2021

Méditations grisâtres (Jules Laforgue)

Josephine Ann Pitsiavia, "Sea & sea"
Sous le ciel pluvieux noyé de brumes sales, 
Devant l’Océan blême, assis sur un îlot, 
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot, 
Dans le concert hurlant des mourantes rafales. 

 Crinière échevelée ainsi que des cavales, 
Les vagues se tordant arrivent au galop 
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots 
Qu’emporte la tourmente aux haleines brutales. 

Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer, 
Rien que l’affolement des vents balayant l’air. 
Plus d’heures, plus d’humains, et solitaire, morne, 

Je reste là, perdu dans l’horizon lointain, 
Et songe que l’Espace est sans borne, sans borne, 
Et que le Temps n’aura jamais ... jamais de fin. 

 Jules Laforgue, Poésies posthumes, « Méditations grisâtres »(1880), in Œuvres complètes, 1903.

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