dimanche 22 août 2021

Paul Nash, The menin Road, 1919

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée 
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée 
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt 
Un obus éclatant sur le front de l’armée 
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur 

Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace 
Couvrirait de mon sang le monde tout entier 
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe 
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace 
Comme font les fruits d’or autour de Baratier 

Souvenir oublié vivant dans toutes choses 
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses 
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants 
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses 
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants 

Le fatal giclement de mon sang sur le monde 
Donnerait au soleil plus de vive clarté 
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde 
Un amour inouï descendrait sur le monde 
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté 

 Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie 
— Souviens-t-en quelquefois aux instants de folie 
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur 
— Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur 
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie 

 Ô mon unique amour et ma grande folie 
 30 janvier 1915, Nîmes.

Apollinaires, Poèmes à Lou, 1847.

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